- 19.05 Lille, CCL (duo w. Michel Henritzi)
- 24.05 Le Mans, Garage Cinq (duo w. Michel Henritzi)
Mochizuki Harutaka « Flageolet Ni Tokeru Chocolate » CD, E-Klageto – 2020.
Ce disque serait comme un carnet de notes, assemblées pour dessiner une cartographie des musiques intimes de Mochizuki Harutaka. Un disque qui s'égare, se perd, pour mieux nous retrouver, nous poindre.
Il se met au saxophone alto après avoir découvert Kaoru Abe, voulant chanter comme lui, oui chanter, ils sont quelques uns à vouloir retrouver ce chant originel lié à l'enfance. Sur ce disque on y entend notes maigres cuivrées d'un alto, clusters bancals au piano électrique, voix récitant a capella une comptine improvisée, les ombres chantent derrière lui, celles de Steve Lacy, Eric Dolphy, Mouloudji, Abe.
Il y a comme un éloge à la lenteur dans sa musique, déposant chaque note dans l'air comme si c'était la dernière, le dernier souffle. Cette note reste en suspension comme une poussière d'étoile avant la nuit. Il y a quelque chose d'unique chez lui, tous les saxophonistes que vous aurez pu entendre, qui vous auront comblés, ne l'effaceront pas, surtout pas s'ils ont plus de technique, de puissance, de souffle, ni même Kaoru Abe, trop de vitesses, Harutaka touche à cette misère essentielle de la finitude, fleur fanée, cette beauté fragile, ou plus justement comme une maigre herbe courbée sous le vent de la vie. Il reprend quelques notes lentes, les rejoue encore et encore dans le désordre pour en faire des ritournelles éphémères, palimpseste sonore sans fin, comme des larmes joyeuses. La vie s'affirme dans son miroir noir. Deux longs titres s'étirent sur ce disque, chacun troué de longs silences, de respirations, de cris et de chuchotements, passant d'un instrument à l'autre, comme un peintre jouant dans sa palette de couleurs. Les mélodies nous étreignent comme une amante, un amant, un tourbillon. Emaki (ce sont des rouleaux peints) aux calligraphies sonores qui s'effacent dans ce temps déplié du jeu, paupières closes à murmurer le chant, dans sa présence fantômatique, parti.
Parfois il rejoint Tomoyuki Aoki sur scène ou le guitariste cultivé Hideo Kondo, pour déposer sur leurs arpèges vénéneux une larme bruissante, électrisant notre corps, nous ouvrant en deux. Besoin de complices ou de partenaires, la solitude parfois limite le jeu. Une fois encore Mochizuki Harutaka est un saxophoniste rare, à vous de prendre le temps et l'accompagner dans son chant.
« Avril est le plus cruel des mois, il engendre – Des lilas qui jaillissent de la terre morte, il mêle – Souvenance et désir, il réveille – Par ses pluies de printemps les racines inertes ». Ces vers de T.S.Eliot disent mieux sa musique que tout critique ne saurait le faire.
Michel Henritzi in Revue & Corrigée